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III. Mémoire

Avant tout je tiens à faire remarquer que la formation et l’exploitation du mythe de la Cathédrale de Reims martyre n’ont pas plu à tous. Victor Charlier, le 21 novembre 1917, déplorait l’outrancière production et l’exploitation d’images simplificatrices auxquelles la Cathédrale donnait lieu en ces termes : " On abuse trop de la vulgarisation de détails de la cathédrale par les moyens de clichés photographiques. On tolère trop de publications à ce sujet, on tolère trop de profits de nos malheurs "233 En effet par la vulgarisation des reproductions de la Cathédrale, on dénaturait ainsi la mémoire qu’elle transmettait. La nation entière s’attribuait les souvenirs de l’édifice : en pensant au statut de Cathédrale nationale, l’édifice n’avait-il pas perdu une partie de son identité rémoise ?

1. La figure emblématique de la Cathédrale de Reims

C’est ainsi qu’Alice Martin décrit à la suite de l’incendie sa vision de la Cathédrale Notre-Dame de Reims : " Elle (la Cathédrale) est là, veillant sur la cité, comme une mère poule au milieu de ses poussins, dominant de toute sa hauteur cette ville de 115 000 âmes, qui marque sur la plaine un relief à peine sensible. Lorsqu’au retour d’une absence, au tournant de la voie, la Cathédrale surgit tout à coup, notre cœur bat : voilà Reims. Là où est la cathédrale, là est Reims. "234
      a.  La quête des neutres : l’exemple de l’Italie
La Cathédrale va rester durant tout le conflit le symbole de la ville martyre, son vecteur médiatique. Dans l’ouvrage de Monsieur Hubert Claisse intitulée " A Reims, c’était l’enfer ", il affirme : "Certes aux yeux du monde tout entier c’est l’apocalyptique vision de la Cathédrale embrasée qui restera – qu’on nous pardonne ce paradoxe – l’image de cet enfer."235 Pourquoi avoir choisi l’Italie pour illustrer mes propos ? Tout d’abord pour des raisons de contenu : en effet cinq documents iconographiques peuvent les illustrer. De plus l’Italie choisit de rentrer en guerre alors même que la balance militaire est favorable aux Alliés (Allemagne et Autriche-Hongrie) ce qui signifie que le choix est plus idéologique que purement stratégique. Enfin parce que l’Italie est dominée par de forts courants catholiques, plus enclins à s’émouvoir du sort de la Cathédrale Notre-Dame de Reims.

Tableau récapitulatif des documents iconographiques italiens


Numéro
Type Auteur Légende
26
C.P. L. Rollex Tenori di fuoco
46
C.P. Streppes Deploriamo !!!......
79
C.P. Othofafoull (?) pronto pronto che c'e ?..
84
C.P. R. Ventura Cosi a Reims nel 1914...
123
C.P. L. Mazzori Digrigno'i denti il barbaro...
La neutralité italienne
Membre de la Triple Alliance ou Triplice, réalisée par Bismarck dès 1882, l’Italie est unie à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. Cependant dès 1902, l’Italie s’est rapprochée de la France et ses relations sont mauvaises avec l’Autriche-Hongrie à laquelle elle réclame les terres irrédentes.

En 1914, prétextant que l’agression est allemande, l’Italie se déclare neutre et commence à monnayer sa participation. C’est une neutralité temporisatrice.

Une menace immédiate
Deux arguments ont conduit les pays européens à légitimer la guerre : L’Italie quant à elle va jouer sur les deux argumentaires.
Une carte postale236 illustre parfaitement ce propos. Dans une atmosphère apocalyptique, l’armée allemande a perpétré les pires exactions. Des civils ont été massacrés et une église, probablement la Cathédrale de Reims, a été incendiée. Un soldat allemand, reconnaissable à son casque à pointe, le sabre tiré, pointe son doigt menaçant. Il s’exclame : " Digrigno’i denti il barbaro e urbo la sva minaccia : giungera arche per te, Italia traditrice l’ora terribile della vendetta. "   " Montrant les dents, le barbare a hurlé sa menace : l’heure de la vengeance sonnera aussi pour toi, Italie. "237
Même le dieu italien demande des comptes à l’Empereur d’Allemagne pour le bombardement de la Cathédrale Notre-Dame de Reims. Il prend son téléphone et se met directement en communication avec l’enfer.238
La visite d’Annunzio
Il semblerait que l’incendie de la Cathédrale de Reims ait eu de larges échos en Italie. En avril 1915, le poète italien Gabriele d’Annunzio, ardent défenseur de l’intervention italienne, se rend à Reims accompagné de son compatriote, le journaliste Ugo Ojetti.J et de J. Reinach, journaliste au Figaro239. Ojetti décrit la scène lorsque Gabriele d’Annunzio arrive au pied de la Cathédrale. " … il s’est écarté de nous. Il ne dit plus rien, il se baisse pour ramasser un éclat de vitrail, une bande de plomb, une fleur de pierre tombée des pinacles ; il les époussette, les caresse, leur souffle dessus comme si de tout son cœur il voulait leur rendre un frisson de vie… "240 Il ajoute d’ailleurs à l’intention du cardinal Luçon : " La cathédrale s’achève dans les flammes. On a envie de tomber à genoux devant ce miracle.
Qu’on ne touche pas aux statues, qu’on ne fasse pas de réparations… "241
L’entrée en guerre de l’Italie On ne sait pas qu’elle fut l’influence réelle de ce voyage sur l’opinion italienne ni le rôle joué par le mythe de la Cathédrale incendiée. Toutefois le 23 mai 1915, après de longues discussions avec les belligérants, l’Italie déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie et se range ainsi du côté de l’Entente.


233 NOLLEAU (G.), L’iconographie des batailles et du siège de Reims lors de la Première Guerre Mondiale, p 31.
234 MARTIN (A.), Sous les obus et dans les caves. Note d’une bombardée de Reims, p 13.
235 CLAISSE (H.), A Reims c’était l’enfer. 1914-1918, p 31.
236 I.F. n°123.
237 Traduction présentée à l’exposition Les Rémois en 1918, de l’évacuation au retour.
238 I.F. n°79.
239 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 134.
240 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 134.
241 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 134.

 
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