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      c.  Héroïser
        L’appel à une croisade patriotique215
Pendant toute la guerre, la société française a été largement traversée d’espérances de type religieux sinon mystique : " Dieu est de notre côté ". Croire en Dieu et croire en sa patrie est bien souvent indissociable. Les valeurs morales telles le combat entre le bien et le mal et le vocabulaire de la spiritualité – sacrifice ou martyre – ont nourri les représentations d’hommes et de femmes.216 " Nos hommes en apprenant l’incendie monstrueux sentaient bien que quelque chose de plus exécrable encore que la destruction d’innombrables êtres humains avait été commis par l’ennemi contre lequel nous luttions. Le feu diabolique avait agi, les forces infernales s’étaient élevées contre les forces célestes. "217 Ces propos tenus par un militaire illustrent bien l’idée que de cette guerre dépend le sort de l’humanité et de la civilisation. La composition de G. Boutiks intitulée " La Civilisation Allemande passe !! " ne représente-t-elle pas Germania en furie détruisant tout sur son passage. Le seul moyen de se protéger de cette " ogresse " est de définitivement la détruire.
Le dévouement des infirmières françaises
Avant de justifier cette partie je tiens à rappeler, qu’il y a eu souvent confusion dans la nationalité des blessés occupant la Cathédrale. En effet, tout comme le souligne M. Cochet, beaucoup ont cru que c’étaient des blessés français qui avaient été installés dans la Cathédrale.218
Plusieurs images peuvent illustrer ce propos. Tout d’abord une estampe219 présente une vue d’un champ de bataille avec en arrière plan la ville de Reims avec la cathédrale en flammes. L’œuvre intitulée : " Le bombardement de la Cathédrale de Reims : admirable geste des femmes françaises " et complétées par la légende suivante : " L’univers entier a frémi d’indignation en apprenant que la horde des barbares Germains bombardait ce joyau séculaire qu’était la cathédrale de Reims.
A quelques kilomètres de Reims et au moment où les batteries allemandes braquaient leurs canons sur la cathédrale, on eut pu voir les femmes françaises recueillir et soigner les blessés allemands ; elles le faisaient avec autant de dévouement que s’il s’était agi des nôtres. N’est-ce pas là le plus bel éloge que l’on puisse faire de la grandeur d’âme du peuple français. "
Il s’agit ici de montrer l’opposition de comportement entre les Allemands qui ouvrent le feu sur une ambulance française et les Français qui soignent les blessés adverses.
Une œuvre intitulée "La Cathédrale de Reims pendant le bombardement (composition)220 "représente l’intérieur de la Cathédrale. Des soldats français et des religieuses, cernés par les flammes, sont foudroyés par les explosions d’obus.
Ce thème du dévouement peut alors être amplifié et déformé. Dans la carte postale anglaise ou américaine221, intitulée " Heroïc Nuns at Reims ", on voit des religieuses essayant de sauver des blessés alors que leur bâtiment, bombardé, est en flammes. L’une d’entre elle, d’ailleurs, est en train de périr, blessée certainement par un éclat d’obus. La légende inscrite au dos est d’ailleurs suffisamment explicite : " The Nuns of Rheims showed great bravery in rescuing the wounded then lying in the Cathedral whilst it was being bombarded. Five of them paid for their bravery and humanity with their lives and six others were seriously wounded. " On peut traduire ce texte ainsi : " Les sœurs de Reims prouvèrent leur grande bravoure, en sauvant les blessés qui étaient installés dans la Cathédrale, alors que cette dernière était bombardée. Cinq d’entre elles payèrent d’ailleurs cette bravoure et cette compassion de leurs vies et six autres furent sérieusement blessées. " La nature des blessés n’est pas précisée. On ne sait pas s’il s’agit de blessés français ou de prisonniers allemands. D’ailleurs peu importe car le message supposé de l’image, c’est incontestablement l’incendie de la Cathédrale de Reims. Cette image permet de dramatiser encore davantage cet événement. Il convient cependant de rappeler qu’aucun témoignage direct de l’incendie ne fait état de religieuses venues secourir les blessés et il n’y eut que des victimes allemandes durant l’incendie de la Cathédrale de Reims. Cependant la rumeur va déformer ces faits. Les propos du général Dubois, rapportés par Bouhelier, exprime d’ailleurs cette " évidence " : " J’ignore le nombre des victimes restées dans l’affreuse catastrophe ; mais je sais que cinq religieuses de l’Enfant-Jésus et plusieurs brancardiers français y ont péri en voulant sauver des flammes des blessés allemands ; acte sublime de dévouement que l’histoire enregistrera, en même temps que l’acte de lâcheté et de barbarie qui déshonorera éternellement l’Etat-Major allemand responsable. "222 Il paraît évident que ce mythe est dû à l’assimilation de deux évènements : en effet Albert Chatelle223 rapporte que quatre religieuses furent tuées au Couvent de l’Enfant-Jésus, transformé en ambulance.224

Ce mythe du dévouement a d’ailleurs été repris par la suite dans un ouvrage plus récent et reste ainsi solidement associé à l’imaginaire de l’incendie :

"Ni les blessés, ni les drapeaux n’empêchèrent que l’on cherchât à réduire en cendre sept siècles de gloire… ainsi d’ailleurs que plusieurs blessés allemands qui périrent carbonisés en même temps que des religieuses et des brancardiers qui tentaient de leur porter secours."225 Noter bien que je ne rejette pas ici le fait que des infirmières soient décédées durant le siège de Reims226. Mais c’est l’association qui est faite de leurs décès avec l’incendie de la Cathédrale qui est historiquement faux et qui constitue donc une mystification.
La mobilisation des enfants.


Quelques documents particuliers permettent d’illustrer cette mobilisation des enfants lors de ce conflit227. Le numéro 28 de "La Jeune France"228, est consacré au " Bombardement de la Cathédrale de Reims ", à l’occasion du premier anniversaire de l’incendie. Ce récit apparaît comme une véritable compilation de toutes les mystifications associées à l’incendie de la Cathédrale.

D’un point de vue lexicologique, les termes de boches, d’apaches, de Huns, de barbares sont omniprésents. J’en extrait deux passages :

1./ " Mais comme le kaiser veut que les apaches acquièrent une plus terrible réputation que les Huns d’Attila… "
2./ " Si les Français eussent été aussi barbares que les boches, ils les eussent laissé griller vifs par les obus de leurs kamarades… "
Les loisirs des enfants durant le conflit prirent aussi un tour guerrier. Des jouets traditionnels comme le jeu de l’oie sont modifiés. Les 63 cases de ce jeu229 relatent les évènements du début de la guerre : de la case 1 " Sarajevo " à la case n°63 représentant un soldat français, russe, anglais et belge alliés " jusqu’au bout pour le droit, l’honneur et la civilisation ". La case 47 intitulée " Reims bombardement " représente l’incendie de la Cathédrale. Des textes tels : " Les Alliés sont la force du droit contre le droit de la force " ponctuent davantage encore cette composition.

D’autres supports plus originaux encore ont été produits : par exemple, un jeu de cubes230 dont le couvercle représente l’incendie, un album de décalcomanie231 comprenant la Cathédrale de Reims en flammes…

Il convient de mesurer l’impact sur les enfants de cette forme de propagande :

Est-ce que cette culture de guerre a durablement marqué les enfants des pays belligérants ? Stéphane Audoin-Rouzeau pense que non et que finalement les enfants ont quitté assez vite le cadre qui avait été créé à leur intention ou qu’ils s’étaient créés eux-mêmes. De façon différente, on pourrait dire qu’ils ont cessé de "jouer à la guerre".232 La multiplicité des thématiques amène à s’interroger sur ce qui reste dans la mémoire, les thèmes qui réussissent à passer de la représentation au statut de mythe. Au-delà de ce clivage, nous nous interrogerons sur l’utilisation de la Cathédrale comme vecteur mémoriel.


215 AUDOIN-ROUZEAU (S.) et BECKER (A.), La Grande Guerre 1914-1918, p 65.
216 AUDOIN-ROUZEAU (S.) et BECKER (A.), La Grande Guerre 1914-1918, p 65.
217 MABILLE de PONCHEVILLE (A.), La cathédrale de Reims vue par un soldat de la Marne, p 549.
218 COCHET (F.), « Rémois en guerre » (1914-1918). Parole de témoins et sources écrites, p 237.
219 I.F. : n°234.
220 I.F. : n°108.
221 I.F. : n°201.
222 BOUHELIER (G. de), Les Allemands destructeurs de cathédrales et de trésors du passé, p 15.
223 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 90.
224 L’auteur ne nous donne pas une date précise pour cet événement, cependant on peut établir une fourchette chronologique comprise entre le 15 et 18 septembre. L’ouvrage de Paul Hess nous rapporte leur décès le 18 septembre 1914. (p 161)
225 CLAISSE (H.), 1914-1918 : A Reims c’était l’enfer, p 21.
226 ce que Albert Chatelle qualifie de noble martyrologe des infirmières rémoises, CHATELLE (A.), Reims, ville des sacres, p 90.
227 Pour plus de précision, je vous renvois à AUDOIN-ROUZEAU (S.), La Guerre des enfants (1914-1918). Essai d’histoire culturelle.
228 I.F. : n°275, B.M.R. 39-102. Voir aussi une autre publication enfantine : n°17 de l’inventaire descriptif.
229 I.F. : n°291 extrait de AUDOIN-ROUZEAU (S.) et BECKER (A.), La Grande Guerre 1914-1918, p 62 et 63.
230 I.F. : n°12.
231 I.F. : n°20.
232 BECKER (J.-J.), L’Europe dans la Grande Guerre, p 150.

 
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