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2. " Souvenez-vous " : La peur de la paix blanche et l’exacerbation des consciences

C’est principalement dû à la situation particulière de 1917 que de nombreuses tentatives de paix eurent lieu. A vrai dire, dès le début du conflit des tentatives de médiations pour aboutir à la paix furent tentées. Dès le mois de septembre 1914, le président des Etats-Unis avait proposé aux belligérants une tentative de résolution du conflit. Il réitéra cette démarche le 18 décembre 1916 sur le principe d’une paix " sans annexion, ni indemnité "253. D’autres tentatives, espagnoles, suisses, suédoises, autrichiennes et même allemandes furent aussi des échecs. On peut cependant noter la publication, le 15 août 1917, par le pape Benoît XV d’une note en cinq points pour le rétablissement d’une paix " juste et durable ". Les cinq points furent : Le 8 août 1918, une offensive franco-anglaise tente de percer le front allemand entre Reims et Arras. L’offensive n’aboutit pas à une rupture du front, cependant l’armée allemande n’a opposé qu’une faible résistance : de nombreux soldats se sont rendus sans combattre. Ludendorff qualifie cette date de " Jour de deuil de l’armée allemande "254. Au même moment, l’opinion publique fléchissait en Allemagne. Conscient que toute offensive est sérieusement compromise et qu’une défaite à long terme est inévitable, l’état-major allemand annonce le 12 septembre 1918 que l’Allemagne est prête à accepter une paix blanche.
La carte postale n°130 permet d’illustrer ce sentiment français : on y voit un soldat levant les mains en l’air en signe de reddition et s’exclamant : " Poune Kamarate !! Pardon !!! ". Il vient juste de lâcher une torche dont il s’est servi pour incendier la Cathédrale de Reims qui flambe d’ailleurs au loin.
      a.  L’Allemagne, multirécidiviste
De nombreux documents exhortent la population française à ne pas oublier le crime de Reims. Telle cette composition de T. Bian intitulée " N’oublions jamais ! "255 et datée de 1914.
Après Louvain… Reims…256
Tout de suite l’association est faite entre le bombardement de Reims et l’incendie de Louvain : entre la Cathédrale Notre-Dame de Reims et la bibliothèque de Louvain. L’incendie de la ville et le pillage de celle-ci commencèrent le 28 août et durèrent 7 jours. " Guillaume II fait abattre Louvain, capitale de la pensée catholique ; fait incendier la cathédrale de Reims, basilique des couronnements royaux par piétisme mal compris, par fausse interprétation de la pensée luthérienne. "257 Ou encore : " Louvain est pour les Belges ce que Reims est pour les Français : la blessure, inguérissable, au cœur de la nation, la tache de sang, ineffaçable, aux mains de l’Allemagne. "258
Nombreux aussi sont les documents iconographiques associant ces deux thèmes. Par exemple, cette carte postale extraite de la série " Les sauvages " et présentant Guillaume II et son fils bombardant la Cathédrale de Reims. Le titre est évocateur : " leur kolossal kultur. Après Louvain Reims… "259 Les points de suspension laissent augurer que les destructions sont encore loin d’être finies.
Les autres villes martyres
Malheureusement Reims ne sera pas la seule ville ravagée par le conflit : " On n’oubliera jamais les dévastations injustifiées de Malines et de Louvain, d’Ypres, d’Arras, de Senlis et de Soissons, de la Somme,… jamais on ne leur pardonnera le bombardement et l’incendie de la Cathédrale de Reims. "260
Une carte postale éditée en 1915261 représente la hache de la justice tranchant le tronc d’un arbre dont les branches sont l’Autriche, l’Allemagne et la Turquie. En contrebas, on peut apercevoir les noms de Reims, d’Arras, d’Ypres, de Louvain mais aussi en plus petit les villes de Yarmouth, Scarborough, Whitby et Hartlepool. Dans une autre carte, les cloches de Senlis, Soissons, Arras et Reims sont associées au texte suivant :
"Aux heures de tristesse, a tinté votre glas !
Mais, Cloches héroïques, au jour proche de gloire,
Votre bronze indompté, clamant notre victoire,
Remplira tout le ciel de ses alleluias !"
Une série de vignettes intitulées " Villes martyres " associe sous forme de diptyques, " avant / après ", les représentations des villes ravagées par la guerre.262
L’atavisme germanique
Pour prouver que l’Allemand est par nature destructeur, on fait ressurgir les exemples du passé, même les exemples les plus éloignés : " Et, si le Parthénon n’est plus qu’une ruine, depuis 1687, ce fut l’œuvre déjà d’un reître allemand, à la solde de Venise, Wilhem Otto von Koenigsmarck, qui l’a bombardé. "263 Génétiquement et historiquement, la propagande française tente de prouver que les Allemands sont avant tout des barbares et des païens. L’empereur d’Allemagne Guillaume II est alors rapproché d’Attila (v. 395-453), roi des Huns et pilleur de l’Italie. Dans la carte postale n°23, la légende est la suivante :
" Guillaume le Hun
Les pieds de ton coursier qu'emporte le vent de la frousse, n'appuient pas assez fort sur le sol pour brûler les fleurs de France, comme le fit jadis ton aïeul Attila ! Elles repousseront ! "
Ou encore cette estampe intitulée Attila II264, représentant une fois de plus l’empereur Guillaume II bombardant la Cathédrale depuis les hauteurs de Reims.

Cependant, certaines voix vont encore plus loin dans la comparaison :

" Ce serait calomnier Attila que de le comparer aux méprisables incendiaires de Malines, de Louvain, de Soissons et de Reims. N’oublions pas que c’est à la prière de l’évêque saint Loup qu’Attila épargna la ville de Troyes ; que c’est à la prière du pape saint Léon qu’il épargna la ville de Rome. Mais on ne voit pas le cardinal Luçon obtenir pareil succès auprès du moderne empereur des Huns, qui les aurait emprisonnés comme otages. "265

253 BECKER (J.-J.), L’Europe dans la Grande Guerre, p 179.
254 BECKER (J.-J.), L’Europe dans la Grande Guerre, p 214.
255 I.F. n°76.
256 Titre d’un fascicule édité en 1914 par les Cahiers Vaudois.
257 BOUHELIER (G. de), Les Allemands destructeurs de cathédrales et de trésors du passé, p 56.
258 VACHON (M.), Les Villes martyres de France et de Belgique, p 111.
259 I.F. n°62.
260 LANDRIEUX (Mgr M.), La Cathédrale de Reims, un crime allemand, p 2.
261 I.F. n°133.
262 I.F. n°246.
263 LANDRIEUX (Mgr M), La Cathédrale de Reims, un crime allemand, p 79.
264 Cette estampe a été présentée lors de l’exposition : Bombardements et incendie de l’ancienne abbaye Saint Remi durant la Première Guerre Mondiale, I.F. : n°229.
265 BELLET (Mgr C.), Protestation contre la destruction de la Cathédrale de Reims et le vandalisme allemand, p 17.

 
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