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      c. Le sacrilège
Lassimilation entre lincendie de la Cathédrale et les thèmes religieux est fréquente. Labbé Landrieux ne compare-t-il pas sa douleur à " la détresse de Marie au Calvaire "176. Le martyre de la Cathédrale va de plus être associé au martyre de Jeanne dArc et à la Passion du Christ. " La Cathédrale de Reims est morte parce quelle était catholique, et parce quelle était française ! Telle est la cause de sa mort.
Bienheureuse est-elle, puisquil lui fallait mourir, dêtre morte ainsi en martyre et en héroïne ! " 177
Je tiens de plus à faire remarquer la différence entre lincarnation du dieu allemand, le " Bon vieux Dieu ", représenté en vieillard, portant une longue barbe blanche, et lincarnation du dieu français, représenté davantage sous la forme dun jeune homme la figure du Christ.

Monseigneur Bellet, dans un ouvrage publié le 29 septembre 1914, cest à dire dix jours seulement après lincendie, exprime ainsi cette différence dans les représentations :

" Son " vieux Dieu " na rien de commun avec Jésus-Christ rédempteur, quil a fait profaner par ses soudards. Son Dieu est tout autre, et il a raison de le qualifier de " vieux ".
Les Herren Professoren lui ont sans doute appris son vrai nom : Moloch. Cruelle divinité que les Phéniciens et les Carthaginois honoraient dun culte spécial en brûlant des enfants. Voilà le " vieux Dieu " que le bandit couronné invoque à bon droit, nest-il pas son complice ? "178
Ce texte est une véritable diabolisation de lennemi, dans le sens intégral du terme. " Gott mit uns " : la vengeance contre Dieu Pendant toute la durée de la guerre, les belligérants ont été largement traversés de courants despérances de type religieux ou du moins mystiques.179

Luniforme du soldat allemand en campagne comprend un ceinturon marqué de " Gott mit uns "(Dieu avec nous) et une Bible.180

Dans la carte postale n°62, Guillaume réprimande le " Bon vieux Dieu " allemand en lui tirant loreille. Il ajoute dailleurs : " Ah ! Tu me lâches ! Gare à tes églises ! ". Ce document développe donc un lien de causalité : cest pour se venger des défaites subies, que lEmpereur dAllemagne corrige Dieu, son allié désigné, en détruisant ses temples.

Cette alliance évoquée entre le Kaiser et Guillaume II est repris dans la carte postale n°68 intitulée naturellement : " Le Christ pleurant sur luvre de celui qui la si souvent invoqué ".

La condamnation papale De nombreux documents illustrent le thème de " La Lettre du Pape à Guillaume II ".181

Voilà le texte qui est reproduit sur chacune de ces cartes :

" Rome, 25 septembre 1914
Benoît XV à Guillaume II
En détruisant les temples de Dieu, vous provoquez la colère divine devant laquelle les armées les plus puissantes perdent tout pouvoir. "
Labbé Aubert, dans son chapitre consacré aux " protestations religieuses "182, ne cite cependant à aucun moment cette prétendue lettre du Pape adressée à Guillaume II. Aucune de mes lectures ne me permet de prouver lauthenticité de cette lettre. Je ne rejette cependant pas lidée que ce texte ait pu être officiellement publié, cependant il ne correspond pas avec lattitude de neutralité adoptée par la papauté.

Dans cette lettre datée du 25 septembre 1914, cest à dire immédiatement après lincendie de la Cathédrale de Reims, la Papauté semble condamner nettement le gouvernement allemand. Pourtant aucun des ouvrages étudiés ne fait référence à cette condamnation de la part du Vatican. Sagit-il dune déformation des propos du souverain pontife ou simplement dune mystification ?

En tout cas, ce texte est réalisé comme une malédiction divine que le Pape aurait envoyée à lEmpereur dAllemagne. Le message est clair ; il annonce la déchéance prochaine de lAllemagne !

Lattitude de la Papauté était en réalité beaucoup plus neutre. En effet Pie X est décédé le 20 août 1914 après plusieurs mois de maladie. Il paraît évident que lélection du Saint-Père, au tout début du conflit, revêtait une importance politique et diplomatique majeure.

Dans louvrage dAlbert Chatelle, un chapitre intitulé : " Les notes secrètes du cardinal Luçon sur le conclave de 1914 "183 montre limportance de cette élection. Je me permets den citer un passage :

MM. Viviani (président du Conseil) et Doumergue (ministre des Affaires étrangères) envoyèrent M. Cambon au cardinal pour linformer " quils ne pouvaient se désintéresser du Conclave et désiraient que les cardinaux français fissent nommer un Pape favorable à la France, et surtout quil ne fût pas le candidat de lAllemagne, ni de lAutriche " 184 Foch avait dès le 26 septembre 1914 conseillé au Cardinal de faire " part au Pape du désastre de la cathédrale "185. Le 3 octobre, le cardinal Luçon écrit pour la première fois au Saint-Père. Il donne une longue description de létat de sa ville épiscopale et en profite pour réfuter les assertions du G.Q.G. allemand. Dans sa lettre, il précise quun long rapport suivra186. Le Pape répondra le 16 octobre. Le journal La Croix publie cette lettre et ajoute le commentaire suivant : " Vu lextrême réserve qui simpose au Saint-Siège à légard des puissances belligérantes, le Pape on le voit, évite de formuler un jugement proprement dit sur le bombardement dont fut victime la cathédrale  "187 On le voit, le Saint-Siège a adopté une attitude modérée à légard de lincendie de la Cathédrale de Reims.

Le 22 janvier 1915, le pape précise le sens de limpartialité pontificale : le pape romain ne doit être " daucun parti ", il doit embrasser dans sa charité tous ceux qui combattent188. Il rappelle aussi quil avait " des fils nombreux dans les deux camps "189. Ainsi, il se soustrait aux sollicitations des catholiques de chaque camp qui souhaitent faire condamner les actes illégitimes de ladversaire.

Monsieur Jean-Jacques Becker note dailleurs à ce propos : " Mais dans un conflit de ce type, toute autorité qui essaie de tenir la balance égale est déjà suspecte aux deux camps. "190

La malédiction divine La malédiction divine prend plusieurs formes, tout dabord la menace, puis le reniement et enfin la déchéance.

Limage 38 représente un soldat allemand, au pied de la Cathédrale en flammes, transperçant de sa lance (?) une femme, étendue à ses pieds et tenant dans ses mains son enfant. Le Christ outragé sexclame : " Germain ne mappelle plus ton Dieu, tu martyrises les faibles, tu détruis mes temples vénérés, je te renie ! "

Dans le document n°31, la malédiction nest encore quune menace. Dieu sexclame à lencontre de Guillaume II qui bombarde et incendie la Cathédrale de Reims : " Si tu recommences à brûler ma maison, je te f la famine, le choléra et la révolution chez toi !!! ". Les trois fléaux qui menacent lAllemagne sont donc la famine, la révolution et le choléra. Seul ce dernier fléau na pas touché lAllemagne.

Dans tous les autres documents, ce nest plus la menace qui domine, mais bel et bien les effets de la malédiction.

Dans la carte postale n°9, nous voyons le Christ se détourner de larmée allemande. Un zeppelin senflamme, les canons cessent de tonner et les soldats allemands à terre vont périr. Lépitaphe suivante complète cette composition : " Parce que tu as mis toute ta confiance en tes ouvrages, je retirerai ma main de toi et tu seras réduite " (Jérémie Ch 46.V.7.)

Une carte postale191 met en avant ce vieil adage : " Celui qui frappe avec l'épée, périra par l'épée "

Le document n°118 exprime la légende suivante : " Malheur à toi qui dévaste, car, quand tu auras fini de dévaster, à ton tour tu seras dévasté ". Les complices du Kaiser Comme nous lavons précédemment vu, le Bon vieux Dieu allemand a déjà menacé de représailles lEmpereur.192

La carte postale italienne (79) montre Dieu téléphonant au Kaiser pour lui demander des explications sur le bombardement et lincendie de la Cathédrale de Reims.

Dans la carte postale 204, le " Bon vieux Dieu allemand " abandonne lalliance qui lunissait à lAllemagne. Pour bien laffirmer, il est représenté revêtu de luniforme militaire français. Il dit à lintention de lEmpereur, perplexe, " Oui mon ptit depuis ton coup de Reims ton bon vieux dieu allemand sest fait naturaliser français ! ".
Le premier des alliés de lAllemagne, et donc des complices, est évidemment lAutriche-Hongrie. Lempereur François-Joseph est assez peu symbolisé dans les documents iconographiques sauf pour trois dentre eux : les n°1, 8 et 128. Dans ces deux premiers documents il est représenté avec une petite croix dans les mains accentuant ainsi le sacrilège, car cette apparente piété est juxtaposée à lincendie de la Cathédrale de Reims. Une carte postale à système193 noublie pas que la guerre fut à lorigine déclenchée par lintransigeance de lAutriche-Hongrie à légard de la Serbie.
 
carte postale pliée
carte postale dépliée
La carte représente la tête décapitée de lempereur dAutriche-Hongrie François-Joseph installée sur un plateau. Au loin, la Cathédrale de Reims est la proie des flammes. La légende est la suivante et se décompose en deux étages : sur le front de lEmpereur, est inscrit en majuscule " le plus grand des astres pour lAllemagne " et en bas de la carte : " Dieu ! sur ma vieille tête trop chargée ma couronne , safesse. "

Si lon déplie la carte on peut voir alors :

Un soldat allemand, dont on ne voit quasiment que le postérieur, regarde en direction de la Cathédrale en flammes. Il écrase de son poids des cadavres. Derrière lui, un canon de 75 tire un obus. La légende du bas, précédemment citée a été remplacée par celle-ci : " serait si notre 75 en bouchait un coin à lEmpereur Guillaume. "

LEmpereur dAutriche-Hongrie, François-Joseph, est en définitif assez peu représenté dans les divers documents : lennemi désigné étant en effet lAllemagne. Mais il convient aussi de rappeler que le vieil empereur va séteindre dans le courant de la guerre, le 21 novembre 1916. Les complices sont évidemment les militaires, mais aussi la propre famille du Kaiser, je veux parler du Kronprinz, fils aîné de lEmpereur, Frédéric-Guillaume.
Une carte postale intitulée " Le Christ au milieu des Bandits "194 représente le Kaiser foulant du pied une femme et son enfant morts. Alors que le Christ semble subir une nouvelle Passion, lEmpereur sentretient avec ses alliés, lempereur François-Joseph et le sultan Mahomet V ainsi quavec son fils, le coprince Frédéric-Guillaume.
Une carte postale de Frédéric Réganzy195 représente le Kronprinz en hussard de la Mort. Un autre document présente la Mort levant une main protectrice sur le prince installé à ses côtés. Elle semble sexclamer : "Mon premier hussard, mon enfant chéri". Dailleurs cette coiffe prussienne nest-elle pas la même que celle couvrant un squelette196. Dans cette dernière carte, le Kronprinz semble alors avoir été représenté sous la forme de la Mort elle-même.
Cependant dautres complices, davantage allégoriques, vont se joindre à lempereur Guillaume II : il sagit du Diable et de la Mort. On ne sait guère sil sagit dentente ou de manipulation. La complicité est telle entre la Mort et lEmpereur que ce dernier revêt les attributs de cette dernière dans la carte postale intitulée : " Le Valet de la Mort " de Perault197. Dans le document 85 cest un diable qui vient remercier lEmpereur car " Grâce à toi, lEnfer vomit son contenu ".


176 LANDRIEUX (Mgr M.), La Cathédrale de Reims, un crime allemand, p 39.
177 HIRAL (A-M.), La Cathédrale martyre : Reims, p 6.
178 BELLET (Mgr C.), Protestation contre la destruction de la Cathédrale de Reims et le vandalisme allemand, p 16.
179 AUDOIN-ROUZEAU (S.) et BECKER (A.), La Grande Guerre 1914-1918, p 64.
180 PROCUREUR (J.-P.), Reims pendant la Grande Guerre, image n°26.
181 I.F. n°57, 58, 60, 64, 73 et 120.
182 VINDEX, La Basilique dévastée, p 38 à 46.
183 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 105 à 113.
184 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 106.
185 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 182.
186 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 182.
187 CHATELLE (A.), Reims ville des sacres, p 182.
188 La Guerre de 1914-1918, cd-rom.
189 BECKER (J.-J.), LEurope dans la Grande Guerre, p 141.
190 BECKER (J.-J.), LEurope dans la Grande Guerre, p 141.
191 I.F. : n°70.
192 I.F. : n°31.
193 I.F. : n°128.
194 I.F. : n°8.
195 I.F. : n°195.
196 I.F. : n°1.
197 I.F. : n°82.

 
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