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3. Le Crime de Reims.
Il est inutile de commenter les citations suivantes, notre propos étant dans ce mémoire de laisser parler les images.
      a.  Les réprobations
Le choc des Rémois C’est peut être davantage la stupéfaction et la fascination qui se sont imposées au cœur des témoins rémois. Leurs témoignages recueillis en 1980 par Monsieur Cochet94, transmettent admirablement ce message. Adrien Sénéchal, témoin de la scène, pense alors à réaliser des croquis de cet événement historique et éphémère.

Pour illustrer ce choc psychologique subi par la population rémoise, je vous cite le témoignage éloquent d’Alice Martin :

" Je reste en stupeur devant cette vision fantastique : la Cathédrale flambant comme une torche géante ! Et quand je redescends, auprès de ma mère et de ma sœur, j’ai la gorge si serrée, qu’à peine puis-je leur annoncer : " La cathédrale brûle ! " Ma figure bouleversée leur fait deviner le reste ; et, étreintes toutes les trois par la même douleur, au fond de notre cave, nous pleurons silencieusement. "95
  Le communiqué officiel du gouvernement français
Le communiqué militaire français annonçait : " … Nous nous sommes emparés du massif de la Pompelle. Les Allemands se sont acharnés, sans raisons militaires, à tirer sur la cathédrale de Reims qui est en flammes… "96 Dès le lendemain de l’incendie, le 20 septembre, le ministre des Affaires Etrangères, M. Delcassé, remet à tous les Gouvernements des Etats neutres la protestation suivante : " Sans pouvoir invoquer même l’apparence d’une nécessité militaire, pour le seul plaisir de détruire, les troupes allemandes ont soumis la cathédrale de Reims à un bombardement systématique et furieux. A cette heure la fameuse basilique n’est plus qu’un monceau de ruines. Le Gouvernement de la République a le devoir de dénoncer à l’indignation universelle cet acte révoltant de vandalisme qui, en livrant aux flammes, un sanctuaire de notre histoire, dérobe à l’humanité une parcelle incomparable de son patrimoine artistique. "97 En soulignant le fait que la destruction de la Cathédrale de Reims ne relève d’aucune nécessité militaire, le gouvernement français considère cet acte comme une pure forme de vandalisme et le fait savoir ainsi à tous les gouvernements étrangers.
Le soutien des milieux intellectuels
L’incendie de la Cathédrale de Reims va être l’un des exemples utilisés dans une guerre d’intellectuels et une guerre de propagande : " Dans leur immense majorité, les intellectuels… ont été, comme le reste de la nation, convaincus que la France ne devait pas être vaincue. "98

De hautes personnalités tel le philosophe Henri Bergson (1859-1941) se sont jointes à un débat idéologique contre l’Allemagne. Il déclare d’ailleurs, dès le 8 août 1914, lors d’une séance de l’Académie des Sciences morales et politiques que l’Académie accomplissait " un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité une régression à l’état sauvage. "99

De nombreux textes et poèmes complètent les documents iconographiques, traitant de l’incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Reims, et font même office de légende. Dans le document intitulé " La Cathédrale en flammes "100, les écrits de Maurice Barrès, belliciste acharné, y sont reproduits :

" Voilà le crime que rien n’excuse et que l’histoire à jamais commentera pour le déshonneur de ces récidivistes. " Dans la carte postale intitulée " Les deux sœurs "101, Sainte Geneviève et Jeanne d’Arc, c’est un poème d’André Rosa qui vient l’illustrer : " Avec le Droit pour guide et Dieu pour espérance,
Nous avons repoussé l’envahisseur.
Il s’agit, maintenant, Jeanne d’Arc, ma sœur,
D’aider tous nos soldats à le chasser de France. "
Ou encore ce texte de l’écrivain français Jean Richepin (1849-1926), membre de l’Académie Française, qui vient illustrer la carte postale n°89 : " Mais ce qui est indigne de l’Europe, c’est de vous compter parmi ses habitants, ô incendiaires de Louvain, ô bombardeurs de Reims, ô fusilleurs de femmes et d’enfants, ô peuple d’espions et d’apaches ! "102 La cible des intellectuels français, c’est le milieu intellectuel allemand, incarné par les Herren Professoren, c’est à dire par les professeurs d’universités allemandes. " Ils se sont couverts d’une infamie immortelle et le nom allemand est devenu exécrable à tout l’univers pensant. Qui donc, sous le ciel, peut douter maintenant qu’ils sont les barbares et que nous combattons pour l’humanité ? "
Anatole France103
" Désastre irréparable, opprobre éternel pour ses auteurs, cause à jamais sacrée de haine inexpiable et d’inexprimable mépris de la part de tout homme qui sent et qui pense. Auréole douloureuse au front des nobles et innocentes victimes, sœurs des Vierges d’Athènes par la souffrance comme elles l’étaient, déjà, par la beauté. "
Théophile Homolle104
 Presse nationale et internationale


Le Gaulois du 21 septembre

" Monstrueuse vengeance de vaincus

Ils bombardent la cathédrale de Reims. Que dis-je ? Elle est en flammes. Ils ont détruit cette merveille qui n’appartenait pas seulement à la France, mais aussi à l’humanité, car elle était une des plus belles que le génie humain eût dressé sur terre pour attester sa grandeur et sa sublimité. "

G. De Lamarzelle (sénateur)105
La Patrie du 22 septembre

" Par un feu d’artillerie dirigé intentionnellement, ils ont incendié et mis en flammes la magnifique cathédrale, qui était non seulement l’orgueil de Reims, mais un monument historique connu et admiré du monde entier. Il ne reste plus du pur joyau architectural qu’une carcasse vide de murs brûlés et noircis. L’impression produite par cet acte de vandalisme abominable restera toujours présente à la mémoire de tous ceux qui ont pu contempler ces ruines. "106

Cette première réaction est très vive. Toutes les plus grandes personnalités vont condamner ce "vandalisme"107. Si les réactions sont naturellement très fortes en France, de nombreux journaux étrangers vont aussi réprouver cet acte. The Times du 21 septembre

" Le Kaiser a surpassé le crime impie de Louvain en détruisant la glorieuse cathédrale de Reims, noble héritage d’un âge de foi, appartenant non à la France seule, mais au monde entier.
Nous aurions dû prévoir cette atroce infamie, Reims étant un terrain naturellement dédié au moderne Attila. Le premier Attila avec sa horde rapace saccagea Reims, passant les habitants au fil de l’épée.
Le Kaiser, qui aspire à lui succéder et cherche à perpétuer son nom à travers les âges, en plongeant plus profondément dans l’infamie, devait naturellement saisir les occasions de destruction qui n’étaient pas offertes à son prototype moins fortuné. "108

La Stampa :

" Ce joyau d’architecture et de sculpture cher à la France, non seulement par la beauté, mais par tant d’évènements glorieux parmi lesquels la consécration de Charles VII aux côtés de l’héroïque Jeanne d’Arc, est réduit en cendres par les grenades allemandes. Le monde civilisé en souffrira comme d’un inconcevable délit. "109

Le monde semble convaincu que rien ne subsiste de la Cathédrale de Reims. Les commissions d’enquête envoyées sur place vont relativiser les destructions tout en condamnant l’acte allemand.


94 Propos recueillis dans COCHET (F.), « Rémois en guerre » (1914-1918). Parole de témoins et sources écrites, Thèse de Doctorat de troisième cycle.
95 MARTIN (A.), Sous les obus et dans les caves. Note d’une bombardée de Reims, p 12.
96 Catalogue de l’exposition : Il y a 70 ans, le 19 septembre 1914, la cathédrale de Reims brûlait, p 9.
97 BOUHELIER (G. de), Les Allemands destructeurs de cathédrales et de trésors du passé (documents officiels), mémoire relatif aux bombardements de Reims, Arras, Senlis, Louvain, Soissons, etc…, p 18.
98 BECKER (J.-J.), l’Europe dans la Grande Guerre, p 140.
99 BECKER (J.-J.), l’Europe dans la Grande Guerre, p 137.
100 I.F. : n°27.
101 I.F. : n°186.
102 I.F. : n°89.
103 Le martyre de Reims, Je sais tout n°118, p 242.
104 DAYOT (A.), La Cathédrale de Reims 1211-1914, Numéro spécial de L’Art et les Artistes, p 41.
105 DAYOT (A.), La Cathédrale de Reims 1211-1914, Numéro spécial de L’Art et les Artistes, p 46 à 51
106 DAYOT (A.), La Cathédrale de Reims 1211-1914, Numéro spécial de L’Art et les Artistes, p 52.
107 Ce terme est utilisé dans presque tous les articles écrits au lendemain de l’incendie.
108 DAYOT (A.), La Cathédrale de Reims 1211-1914, Numéro spécial de L’Art et les Artistes, p 55.
109 DAYOT (A.), La Cathédrale de Reims 1211-1914, Numéro spécial de L’Art et les Artistes, p 55.

 
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