I. Pour une présentation
réaliste des faits
Retracer les évènements déroulés à Reims,
et en particulier l’incendie en lui-même, est une tâche que
je n’imaginais pas si ardue. La plupart des récits sont souvent
entachés d’erreurs et de non-dits. Seul un recoupement systématique
des différentes sources peut permettre d’approcher de la réalité
historique. Mais même dans ce cas précis, je demeure dans
l’expectative.
1. Les évènements
précurseurs de l’incendie
Dans cette partie, l’analyse sera principalement portée sur l’arrivée
des troupes allemandes et l’occupation de Reims, c’est à dire les
évènements compris dans une fourchette chronologique comprise
entre le 30 août et le 19 septembre 1914.
a. La retraite française
et l’occupation de Reims
Le 28 juin 1914, l’attentat de Sarajevo et l’échec des négociations
entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie vont enflammer l’Europe. La Serbie,
la Russie, la France puis l’Angleterre se mobilisent pour faire face aux
armées allemandes et austro-hongroises. L’Italie membre de la Triplice,
reste pour l’instant neutre.
Appliquant le " plan Schlieffen ", les armées allemandes envahissent
la Belgique pourtant déclarée neutre et battent les Anglais
à Mons et les Français à Charleroi. Cette " bataille
des frontières " (21-23 août) entraîne le reflux des
troupes alliées.
Reims déclarée ville
ouverte
Les 29 et 30 août, la 5e armée française,
du général Lanrezac, est défaite dans la région
de Guise et doit se replier. Le généralissime Joffre décide
alors d’attirer l’ennemi dans une vaste poche s’ouvrant entre le camp retranché
de Paris et celui de Verdun. Ce nouveau plan suppose l’abandon de Reims
et l’évacuation des forts alentour. Reims devient alors une ville
ouverte.10
A Reims, les mauvaises nouvelles colportées par les réfugiés
d’abord belges, puis ensuite en provenance de Rethel et de Novion-Porcien,
alarment la population dont certains suivent déjà la voie
de l’exode.
Dans la matinée du 3 septembre, Reims, pour la première
fois, subit le bombardement par un monoplan allemand.
La " méprise " du 4 septembre11
C’est sous cet intitulé que l’abbé Landrieux relate dans
le premier chapitre de son livre, les évènements survenus
à Reims, lors de l’arrivée des troupes allemandes, le 4 septembre
1914.12
Les rivalités entre la 2e armée de Von Bülow
et la 3e armée du Baron Von Hausen semblent pouvoir expliquer
ce bombardement. Afin d’avoir l’honneur de prendre Reims, la 2e
armée envoie deux plénipotentiaires, qui sont interceptés
par l’armée française. Au même moment, la 3e
armée envoie en reconnaissance un capitaine des hussards, Von Humbracht.
Ce dernier arrive à l’Hôtel de ville et se présente
au maire. Ne voyant pas revenir leurs parlementaires, la 2e
armée procède à un tir de représailles. Les
officiers saxons, installés à l’Hôtel de Ville, partent
alors en automobile pour faire cesser le feu.
Durant ce premier bombardement, 18213
obus vont atteindre la ville mais seulement quatre touchent les environs
immédiats de la Cathédrale.
Reims occupée : la Cathédrale
transformée en ambulance.
Pendant l’occupation de Reims, la Kommandatur s’installa à l’Hôtel
du Lion d’Or, en face de la Cathédrale. La place du Parvis est aussi
encombrée par des troupes allemandes : " hommes et chevaux, matériel
de guerre, caissons, cuisines ambulantes et lourds fourgons du train. "14
A propos de la statue équestre de Jeanne d’Arc installée
sur le parvis, l’abbé Landrieux ajoute :
" Et cela nous faisait mal de voir notre Jeanne d’Arc esseulée,
perdue au milieu de ce bivouac allemand, entourée de Prussiens,
comme si elle était leur prisonnière.
Sa physionomie douce et grave, où transparaît si délicatement,
à travers le rayonnement de l’âme, une secrète anxiété
du cœur, semblait refléter cette humiliation. Les yeux perdus au
ciel, l’épée en main toujours, elle personnifiait la France
envahie qui se tourne vers Dieu, qui lutte, qui prie, qui souffre et qui
espère. "15
Le 10, le commandant de la place, le capitaine Hahn, exigea de la municipalité
qu’elle réquisitionnât des immeubles pour loger 300 blessés
sans délai. Le flot des blessés augmentant, une conférence
eut lieu vers 17h00 entre le maire, le docteur Langlet, son adjoint, M.
Charbonneaux, le prince Auguste-Wilhem, fils du Kaiser, et les représentants
de la Croix-Rouge. Il fut alors décidé que la Cathédrale
abriterait 3000 lits. Auguste-Wilhem ajouta d’ailleurs :
" … Les Français tirent sur nos hôpitaux, ils ne tireront
pas sur la cathédrale, et la meilleure preuve que je puisse vous
donner de mon désir de préserver l’édifice, c’est
que je tiens à y faire installer mes blessés. "16
Cependant, les lits n’ayant pu être rassemblés, il fut décidé
de les remplacer par de la paille, et dès le 11, on empila les chaises
dans le chœur et plus de 15000 bottes de paille furent entassées
contre les portes des bas-côtés et éparpillées
dans la nef, tandis que des voitures apportaient des sacs de couchage et
des couvertures. Le drapeau blanc qui flottait depuis le 4, au plus haut
de la tour Nord, fut remplacé par un grand drapeau de la Croix-Rouge.
Le projet d’installation ne put cependant aboutir, car le soir même,
les Allemands évacuèrent la ville.
La victoire de la Marne oblige les troupes allemandes à refluer
et à abandonner la ville de Reims. Le 12 septembre à 14 heures,
une proclamation officielle de l’autorité allemande suivie d’une
liste de cent personnes est alors dressée afin de couvrir leur retraite.
Cette affiche menaçante sera perçue, a posteriori, par la
population comme annonciatrice des futurs bombardements :
" De même, la ville sera entièrement ou partiellement
brûlée et les habitants pendus, si une infraction quelconque
est commise aux prescriptions précédentes. "17
Les otages seront finalement libérés à la sortie de
Reims, sur la route menant à Witry-les-Reims et le lendemain, les
troupes françaises reprennent la ville.
10 D’après
le plan XVII, Reims ne figure pas au nombre des places fortes. Sa valeur
stratégique est de second ordre.
11 LANDRIEUX (Mgr
M.), La cathédrale de Reims, un crime allemand, p 7.
12 LANDRIEUX (Mgr
M.), La cathédrale de Reims, un crime allemand, p 7 à
19.
13 LANDRIEUX (Mgr
M.), La cathédrale de Reims, un crime allemand, p 13.
14 LANDRIEUX (Mgr
M.), La cathédrale de Reims, un crime allemand, p 20.
15 LANDRIEUX (Mgr
M.), La cathédrale de Reims, un crime allemand, p 20.
16 CHATELLE (A.),
Reims
ville des sacres, p 74.
17 HESS (P.), La
vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918, p 156 à 157.