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POUR LA CATHEDRALE DE REIMS

Par Camille LE SENNE

Dit par Madame CARISTIE MARTEL, de la Comédie Française,
devant les ruines de la cathédrale de Reims
le 22 Janvier 1916.


Qui donc a dit : Il faut garder cette ruine !
« Le décombre est auguste et la lèpre est divine ;
« Une grandeur sort des débris.
« Laissons sans le troubler le temps faire son œuvre.
« Que sous ces pans de mur l'orfraie et la couleuvre
« Trouvent à jamais leurs abris.

« II faut que vers le ciel l'arc éboulé se dresse,
«  Que le porche croulant étale sa détresse
« Et que ce témoin reste là,
« Car, sous l'éclat vengeur du soleil qui rayonne,
« C'est le symbole affreux de la rage teutonne,
« La signature d'Attila ! »

Eh bien, non ! Depuis quand la France accepte-t-elle
De veiller, sentinelle inquiète et fidèle,
Sur la trace de ses affronts ?
N'aurons-nous donc chassé la bête carnassière
Que pour garder après l'atteinte meurtrière,
La marque imprimée à nos fronts ?

Ne laissons pas le flux des ondes sépulcrales
Sur les piliers rompus des vieilles cathédrales
Etendre la nuit des tombeaux.
D'éternels renouveaux la grande France est faite.
Exaltons la victoire et rayons la défaite,
Et rallumons tous les flambeaux.

Non, murailles en deuil, fleurons, noble décombre
Qui de ta voûte altière abaissais la grande ombre
Sur la poussière des martyrs,
Maison des purs espoirs, maison de la prière,
Châsse ardente, trésor, précieux reliquaire,
De nos plus anciens souvenirs,

O temple que hantaient en cortège funèbre,
A l'heure solennelle où tombe la ténèbre,
Les héros du temps révolu.
Sanctuaire où passaient, augustes simulacres,
Les fantômes muets des rois des anciens sacres
Et de Clovis le chevelu,

Où, tandis que, courbé pour un nouveau baptême,
Charles sept à genoux recevait le saint chrême
Et jurait le royal serment,
Se tenant à l'écart près de son oriflamme
Notre Jeanne voyait la couronne de flamme
Descendre du ciel lentement,

Reine au front orgueilleux qui dominais le monde,
O mère qui faisais tenir, urne profonde,
Toute la France dans tes flancs,
Nous ne laisserons pas ton cadavre de pierre
S'en aller par morceaux, comme sous le suaire
Pourrit un dernier ossement.

Lorsque ressaisissant nos provinces meurtries,
Nous aurons repoussé la guerre des patries
Sur le Rhin sanglant et l'Escaut,
Lorsque dans le fourreau nous remettrons l'épée
Comme, après le labeur, sur la gerbe coupée
Le moissonneur jette la faulx,

Quand les petits enfants que berçait le tonnerre,
Las de ne plus entendre au loin trembler la terre,
S'endormiront dans leurs berceaux,
Alors tu renaîtras de ton martyre, ô sainte,
Et nos pieuses mains, déblayant ton enceinte,
Feront resurgir tes arceaux.

Ton abside sera la nef qui recommence,
Témoin des jours anciens, à voguer en silence
Sur l'océan des nouveaux jours ;
Et dans l'azur lavé, resplendissant de gloire,
Dans le ciel étoilé, dans le ciel de victoire,
Poindront les mâts de tes deux tours.

Sur le sillon d'argent on verra glisser l'arche.
Auprès du gouvernail emportant dans sa marche
L'étendard de nos trois couleurs,
A la place où se tient l'attentive vigie
Nous ferons se dresser la sereine effigie
De la vierge de Vaucouleurs.

Et, pour nous rappeler l'effroyable tempête
Où le vaisseau fuyait ballotté sur la crête
Des vagues et du noir limon,
Rendant grâce à Celui par qui le mal échoue,
Recueillis et pieux nous mettrons à la proue
Saint Michel vainqueur du démon.


Extrait de LE SENNE (Camille), Pour la Cathédrale de Reims, « Editions et Librairie », Paris, 1916, 16 p (p 13 à 16).

 
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