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Je fus votre merci pour le don de vos yeux
Grands ouverts sur les dons des nuits et de aurores,
Et ma pierre devint tout un jardin de flores
Bien dignes d'émailler les pelouses des cieux...
Le Rythme universel s’accusait dans mes lignes :
J'étais votre Raison heureuse de chanter,
Sa grande soeur la Foi lui donnant à sculpter
L’âme humaine, les blés et les pampres de
vignes...
Oh ! l'esprit bien français dont on m’avait chargé
!
« Toujours plus haut » était
le refrain de victoire
Qu’ entonnait l’ouvrier à l’assaut de la gloire
De mettre l’Idéal en sublime abrégé...
De par le monde entier jamais plus beau Poëme,
Plus beau livre de pierre à relire à genoux
:
L’Ange, l’Homme et la Terre étaient au rendez-vous
Pour dire : « Notre-Dame ! O Vierge ! Je vous aime
! »
Ceux qui n n’avaient pas d’or pouvaient me regarder :
Ils s'en allaient avec un trésor de sagesse...
Chacun s’en retournait avec de la jeunesse
Au coeur et dans l’esprit qui venait l’obséder...
Ne portant que le poids de mille et mille rêves,
L'âge, comme un aïeul, avait béni mon
front
Et ma triple façade était celle d’un mont
Que mes sept cents printemps auraient gorgé de
sèves...
J’étais vraiment trop belle il me manquait pourtant
Ce qu'eût Jeanne au dernier des jours de son beau
drame...
Il me manquait encor l’auréole des flammes...
Vous cherchez des bourreaux ? « Voici les Allemands
! »
Ils ont voulu brûler la Merveille de France,
Crever les yeux des Rois qui fixaient le soleil,
Casser les bras porteurs des cloches de l’Eveil,
Condamner « le Sourire » à pleurer
la souffrance...
Je le comprends très bien : ceux qui n ont point
de coeur
Ne peuvent pas aimer une pierre qui chante...
L'«Agneau » leur fait horreur, et la rage
les hante
D'installer leurs démons dans les salles du choeur...
Moi qui n'était jadis que Louange et que Gloire,
Je puis dire avec Paul : « Je me meurs tous les
jours. »
Je suis comme un chef-d’oeuvre où la flamme du
four
A mêlé du soleil aux tons mats de l'ivoire...
Et l'hiver et l'été, comme un chancre hideux,
La neige et le .soleil mangeront ma figure...
Dix mille obus d'acier et l'ardente brûlure
M'ont à jamais donner la face des lépreux...
Mes colonnes, jadis couvertes d’aubépines,
Ressemblent à des os rongés par des lionceaux...
Comme des yeux crevés d’aveugles, mes vitraux
Ne sont plus que du ciel à travers des ruines...
Mes rosaces ne sont que roses de douleurs,
Mes portails pleins de Saints, une Cour des Miracles,
Quelque chose sans nom évoquant des spectacles
De mutilés portant des gangues de malheur...
Oh ! ne m'appelez plus Notre-Dame-des-Anges...
Je suis le Panthéon des Saints décapités,
La Martyre expirant sa grande piété,
Le Temple de l'Hiver des Mystiques Louanges...
Et ma pierre aux tons gris ressemble à vos drapeaux
Mangés par la mitraille en des soirs de bataille
Quand la Haine et la Mort célèbrent leurs
fiançailles
Et leurs amours d’enfer, sur des lits de tombeaux...
Mais cent mille canons ne tuent pas une idée...
Et dans notre Pays la Beauté ne meurt pas...
La cloche de l’espoir ignorera le glas
Tant qu'une âme sera d'Idéal obsédée...
Oh ! venez donc à Reims, revenez, mes enfants !
Une seconde Jeanne aurait pour oriflamme
La dentelle en morceaux de cette robe d’âme
Dont on m’avait vêtue en des jours triomphants...
Ah ! baissez-vous très bas sur mes pierres martyres,
Couvrez-les, à genoux, de baisers assidus,
Et dites-leur, le cœur battant à rythmes éperdus
:
« Vous, nos harpes d’hier, redevenez nos lyres
!
« Lyres où passera le souffle de l’Esprit
« Revenant en ce monde assainir des abîmes,
« Rouvrir des Cieux perdus et sculpter du sublime
« Dans nos coeurs, cette fois, plus forts que le
granit... »
IMP. TH. HIRT & FILS - REIMS
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