Le rapport
Dalimier
Le Bombardement de la Cathédrale de Reims
Rapport officiel
Bordeaux, 8 octobre.
A la première nouvelle du bombardement
de la cathédrale de Reims, le Ministre de l'Instruction Publique
a fait constituer une commission chargée de préciser l'étendue
des ravages commis. Cette commission, présidée par M. Dalimier,
Sous-Secrétaire d'État des Beaux-Arts, et composée
de MM. Paul Léon, chef de la division des services d'architecture
au Sous-Secrétariat des Beaux-Arts; Girault inspecteur des bâtiments
civils, membre de l'Institut ; Boeswillwald et Genuys, inspecteurs généraux
des Monuments Historiques, et Puthomme, contrôleur général
des travaux d'architecture, s'est rendue à Reims pour constater
officiellement l'état de la cathédrale.
Voici, pour compléter
les renseignements succincts donnés après les premières
constatations, les extraits -inédits- les plus frappants du rapport
de la commission
..... Toutes les habitations
aux alentours immédiats sont éventrées et incendiées,
et au milieu de ces ruines, la cathédrale a été frappée
d'une trentaine de projectiles qui, par leur choc et leur explosion, ont
broyé la pierre, brisé les vitraux et mis le feu à
tout ce qui pouvait brûler.
Les projectiles, dont les éclats
ont atteint tout l'ensemble du monument, ont frappé principalement
la partie supérieure de la tour nord, écrasant l'angle d'une
tourelle, traversant la paroi de la tour, en exerçant une poussée
sur les assises voisines au point de les déplacer; l'un d'eux a
enlevé la branche supérieure d'une volée d'arc-boutant,
un autre a broyé la pierre d'un glacis des baies de la tour, un
autre a éventré une cage d'escalier dont les marches ont
été coupées, un autre encore a renversé une
partie de balustrade de la façade principale sous la rose, etc.,
etc.
C'est l'incendie allumé
par les obus qui a causé les plus graves dégâts : il
ne reste pas apparence de toiture sur la nef, les transepts, le chœur,
l'abside, les bas-côtés; seules, quelques chapelles ont conservé
leur couverture; tout le reste a été réduit en cendres
; charpentes, ardoises, partout les plombs sont fondus, les fers tordus.
Tout cela s'est effondré
sous les voûtes qui ont évidemment souffert du contact du
feu, mais n'ont pas été rompues.
Par contre, les pierres avoisinantes
de la grande galerie qui couronne les murs, des galeries de circulation
au bas des grandes verrières, sont éclatées et calcinées.
Le beffroi a été
la proie des flammes; les cloches, tombées sur la voûte inférieure
sans l'écraser, sont en partie fondues ; les abat-sons sont restés
intacts.
Les flammes produites par l'incendie,
poussées sur les parois par le vent, ont complètement corrodé
la pierre, faisant tomber une partie des statues qui décoraient
le portail ouvert sous cette tour, ainsi que les voussures des arcs qui
se développent au-dessus de la porte et que couronne un gâble
dans lequel est représentée la Crucifixion. Ces dégâts
s'étendent aux pinacles qui surmontent les contreforts et jusqu'à
la galerie des Rois.
Le côté droit de
ce portail a été moins atteint; les autres portails n'ont
été que peu touchés par les éclats d'obus.
Dans l'intérieur de l'édifice
on avait déposé des blessés allemands sur des couches
de paille. Les obus ont mis le feue à cette paille, faisant éclater
la mouluration des bases des piliers de la nef, embrasant les tambours
des portes et les portes elles-mêmes. Cet incendie a détruit
les statues placées dans les niches de la face intérieure
de l'église, à droite et à gauche de la porte du portail
sud. Enfin les verrières ont toutes eu à souffrir de l'explosion
des projectiles, des éclats qui les ont traversées; la moitié
de la rosace supérieure a été vidée de ses
vitraux; les parties ajourées au-dessus des portails nord et sud
ont été vidées ; la rosace au-dessus du portail central
n'a été que criblée.
En résumé, la
cathédrale est défigurée dans ses lignes et dans les
détails de sa décoration ; si sa construction puissante a
résisté en partie au choc des projectiles, on ne refera jamais
ses admirables sculptures, et elle portera éternellement la marque
d'un vandalisme qui a dépassé l'imagination.
DAYOT (Armand), La Cathédrale de Reims 1211-1914,
Numéro spécial de L'Art et les Artistes, p 38