Oral de soutenance du mémoire de maîtrise


Introduction :

Les recherches historiques peuvent amener deux sortes d’études : d’un côté, les études qui exploitent un corpus qui leur est préalablement fourni, de l’autre, les études qui constituent leur corpus à partir d’un sujet ou d’une problématique.
C’est cette deuxième procédure que j’ai ici réalisée. Je vais tenter de résumer l’ensemble de ce travail suivant trois axes majeurs, tout d’abord par une présentation méthodologique, puis je ferais un exposé des évènements historiques. Enfin, je m’intéresserais à la subjectivité des représentations.

I. Présentation méthodologique

1. Création et définition d’un cadre et d’un objet de recherche.

La constitution d’un objet de recherche est un travail propre à chacun. En ce qui me concerne, j’avais certainement le désir de comprendre mieux les stigmates encore visibles sur la Cathédrale Notre-Dame et principalement au niveau de la tour nord. J’ai donc décidé de consacrer mes recherches à la Cathédrale de Reims durant la Première Guerre mondiale et principalement à son iconographie. Pourquoi ce choix de l’image ? Je pars d’une constatation : « les hommes n’agissent pas en fonction du réel mais en fonction de la représentation qu’ils se font du réel » et en ce sens, l’image transmet un message plus important que ne pourrait le faire un texte. L’image apparaît donc plus vrai dans sa représentation de l’imaginaire que l’écrit.
Après avoir défini son cadre de recherche, il convient d’acquérir une culture historique sur la période ainsi définie. Deux ouvrages généraux apparaissent comme des références : celui de M. Jean-Jacques BECKER, L’Europe dans la Grande Guerre et celui de M. Pierre MIQUEL, La Grande Guerre (ouvrage sur lequel je reviendrais dans cet exposé).

2. Formation d’un corpus.

Une fois que l’objet de la recherche est défini, il convient de constituer un corpus de sources. Tout d’abord, ma première démarche a été la recherche d’inventaires préexistants.
Il existe un inventaire iconographique réalisé de 1916 à 1922 et consacré à la collection Leblanc en 8 volumes. Un autre inventaire plus spécifique a été réalisé par René Druart sur le thème de l’iconographie rémoise de la guerre et paru dans les Travaux de l’Académie Nationale de Reims en 1921.
Une fois ce premier dépouillement effectué, il convient de dénicher les collections. Il en existe de deux sortes : celles publiques et celles privées. Sans rentrer dans les détails, j’ai consulté les inventaires de la Bibliothèque Municipale de Reims (qui possède d’ailleurs un catalogue iconographique microfilmé), celui du Musée des Beaux-Arts, de l’Hôtel-Le-Vergeur et à cela se rajoute quelques documents provenant du cabinet des estampes de la B.D.I.C. et de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. Au niveau des collections privées, je signale rapidement celle de Madame Sénéchal, de Monsieur Procureur, de Monsieur Rigaud, de l’Abbé Goy et de Monsieur Cosnard. L’essentiel de mon corpus a été fourni grâce à cet inventaire des collections privées.

3. Inventaire.

Dès le début du dépouillement, il convenait d’établir un certain nombre de rubriques, valables aussi bien pour une carte postale que pour une médaille.
Sous une base de données Excel, j’ai donc établi 12 rubriques : la cote, la nature du document, l’auteur, le titre, le format, les dimensions, la couleur, l’éditeur, le lieu d’édition, la date, la collection dont il est issu ainsi qu’un court descriptif.

4. Fabrication d’une typologie.

Il importait alors d’établir un système de critères thématiques de l’iconographie. On crée une grille avec un certain nombre de thèmes. Par exemple : la représentation de l’Empereur Guillaume II, la figure de Dieu ou du Christ, la présence de Jeanne d’Arc, la figuration des drapeaux de la Croix-Rouge, etc…
La définition même de ces critères induit déjà un début de réponse. Cependant il permet d’écarter les thèmes sous-représentés.
Une fois cette typologie établie, on peut passer à la construction puis à la rédaction du mémoire.

5. Elaboration et rédaction du mémoire.

C’est après avoir consulté l’ouvrage de M. Raoul Girardet sur Mythes et mythologies politiques que j’ai décidé d’établir ma problématique sur la mythification de l’incendie. D’où un plan en trois parties : d’une part l’historique de l’événement, puis les représentations de l’incendie (c’est à dire la création imaginaire du mythe) et enfin la mémoire liée à ce mythe (son apogée). Son déclin, voir sa disparition, était traitée en conclusion car ce thème sortait du cadre chronologique précédemment défini.
Encore convenait-il d’appréhender la frontière qui sépare l’historique du mythique.

II. Historique de l’événement.

Il convient de rétablir les réalités historiques de l’événement car de nombreuses erreurs survivent. Par exemple sur le programme du spectacle « Cathédrale de lumière » organisé cet été, il est écrit : « la cathédrale fut bombardée et incendiée en septembre 1918 ». Certainement plus grave, dans l’ouvrage de M. Pierre MIQUEL, La Grande Guerre, outre l’exagération des pertes civiles, c’est l’ensemble de la chronologie concernant le siège de Reims qui est inexacte. L’incendie de la Cathédrale ayant eu lieu le 27 septembre 1914.
Il ne convient pas de rejeter leur propos, mais de voir en quoi leurs erreurs sont symptomatiques des erreurs commises à l’époque. Le travail de l’historien ne se borne pas seulement à rétablir un récit le plus proche possible de la réalité, mais aussi à faire le commentaire de ces erreurs et sous-entendus historiques : c’est à dire à travailler sur la critique de la critique de l’histoire.

1. Les évènements précurseurs du 19 septembre.

Dès le début du conflit, les troupes allemandes envahissent la Belgique pourtant déclarée neutre et battent les forces franco-anglaises du 21 au 23 août 1914.
Par suite d’un replis de l’armée française, Reims est alors déclarée ville ouverte. Un violent bombardement, lié certainement à une méprise de la part de l’autorité allemande, va précéder l’occupation de Reims le 4 septembre 1914.
 
Les violents combats liés à la contre-offensive victorieuse des troupes françaises décide l’autorité militaire allemande à transformer la Cathédrale Notre-Dame en ambulance afin d’accueillir 3000 blessés. 15000 bottes de paille sont réquisitionnées, entassées contre les portes des bas-côtés et éparpillées dans la nef. Les projet d’installation ne pourra cependant aboutir car le 12 septembre les Allemands évacuent Reims.
Le lendemain, les troupes françaises reprennent la ville. Cependant les Allemands occupent la quasi totalité des forts alentours : « La ceinture fortifiée de Reims ».
De ces positions, l’armée allemande bombarde dès le 14 la ville.
Le 16 septembre, le Grand Quartier Général français décide de rassembler tous les blessés allemands, installés dans divers hôpitaux de Reims, dans la Cathédrale. 131 blessés sont ainsi transférés dans l’édifice.
Le 18 septembre, 5 obus au moins touchent directement le monument, tuant un gendarme français et deux blessés allemands ; la panique s’empare alors des occupants qui se réfugient dans l’escalier de la tour nord.

2. Le 19 septembre : récit chronologique de l’incendie au travers des œuvres d’Adrien Sénéchal.

15h00

L’échafaudage qui ceinturait la tour nord prend feu à mi-hauteur du fait de l’explosion d’un obus.

15h30 

La toiture prend feu à son tour. Est-ce un nouvel obus qui a provoqué ce deuxième foyer d’incendie ? Si on regarde attentivement certains clichés, il semblerait en effet qu’il y ait deux foyers d’incendie. D’un côté les fumées de l’échafaudage, de l’autre une fumée jaune d’or provoquée par la fusion des plombs de la toiture.
Avec cette carte postale, on semble distinguer un troisième foyer d’incendie.
Probablement aussi vers 15h30, la Grande Rose éclate et des flammèches tombent sur la paille installée à l’intérieur. Au même moment, les bombardements allemands cessent.

15h50

Chute de l’échafaudage.

17h00

Représentation de l’incendie de l’intérieur de l’édifice. Celui-ci est particulièrement violent du fait qu’une meule de réserve avait été installée près des portes du Grand Portail.

20h00

Fin des huit cloches de la Tour Nord. L’incendie de la charpente a cessé ; seul le plomb continue de se consumer.
Voilà essentiellement les différentes phases de l’incendie vue de l’extérieur. Maintenant intéressons-nous d’avantage aux réactions à l’intérieur.

3. La sortie laborieuse des blessés allemands.

Un peu moins de 150 blessés se trouvent à l’intérieur de l’édifice lorsque éclate l’incendie ; auquel se rajoute le clergé de la Cathédrale, l’archiprêtre, le chanoine Landrieux, son vicaire l’abbé Andrieux et l’abbé Thinot, maître de la chapelle de Notre-Dame.
Tout d’abord des tentatives sont faites afin de circonscrire l’incendie. Puis voyant que le sinistre est inévitable, le clergé décide alors d’évacuer les blessés par le Portail Nord. Le clergé part mettre en sécurité le Trésor de la Cathédrale et lorsqu’il revient, l’abbé Landrieux s’aperçoit alors que les blessés sont encore dans la Cathédrale, empêchés de sortir par 7 ou 8 soldats prêts à tirer et une foule d’environ 300 personnes ivres de rage.
Grâce à l’intervention du clergé ou d’un capitaine des dragons, les prisonniers sont tout de même évacués, évitant ainsi le drame.
Un témoignage allemand, celui de l’abbé Prullage, relate une sortie des blessés par le côté sud, au niveau de la cour du Palais du Tau. Il indique qu’une dizaine de blessés auraient été tués par des soldats avec la complicité de quelques rémois.
Ce récit, très sanglant, est certainement exagéré et aucune source française ne corrobore ces faits. Cependant on constate tout de même que sur 14 cadavres retrouvés au lendemain de l’incendie, 4 étaient à l’intérieur de la Cathédrale et 10 dans la cour de l’archevêché.
Pourquoi je m’appesantis sur cette sortie des blessés : tout d’abord pour démontrer qu’il peut exister plusieurs versions d’un même fait. L’histoire n’est pas une science exacte ; c’est une science hypothétique. Ensuite pour montrer l’écart qui sépare un fait avéré d’un fait imagé ou imaginé. En d’autres termes, ce qui sépare l’historique du mythique.

III. La représentation de l’incendie.

1. L’archétype : le dessin de Gustave Fraipont.

Dans tout mythe, il existe un archétype, c’est à dire une image figurative ou non que s’impose dans l’imaginaire.
Cette œuvre a été réalisée par Gustave Fraipont et est parue dans l’Illustration du 3 octobre 1914. C’est une œuvre qui se veut authentique puisque la légende indique que cette composition a été réalisée « d’après le croquis d’un témoin ».
On y voit la Cathédrale vue 3 quarts Nord-Ouest côté parvis. On peut apercevoir l’échafaudage qui ceinturait la tour nord, deux drapeaux de la Croix-Rouge sur chacune des tours et des brancardiers (probablement des militaires si l’on considère les fusils qu’ils portent) qui évacuent les blessés par le Grand Portail.

2. L’imaginaire allemand occulte pour sa part complètement l’incendie.

Dans cette première carte postale toute la ville flambe mais la Cathédrale semble miraculeusement épargnée.
L’autorité allemande ne rejète pas l’incendie mais les circonstances de celui-ci. Alors que les français affirment que la Cathédrale a été détruite par pur vandalisme, les Allemands contestent en déclarant que les français ont utilisé l’édifice à des fins militaires.
Dans celle-ci, on peut voir un projecteur installé en haut de la tour nord.
Sur celle-ci un poste d’observation frauduleusement caché sous un drapeau blanc.
Et enfin dans celle-ci on voit l’artillerie française installée aux abords de l’édifice.

3. La propagande.

J’ai essayé aussi de montrer en quoi les images de l’incendie répondait aux schémas classiques de la propagande.
Selon Jean-Claude Montant, la propagande se base sur les réflexes les plus primitifs : sur ce principe, j’en ai ainsi défini trois : terroriser, ridiculiser, héroïser.
J’ai d’abord essayé de comprendre quel message profond toutes ces images pouvaient-elles bien véhiculer. C’est à dire cette mémoire qui constitue l’apogée du mythe : le mythe durable.
Essayons de résumer ce que la figure emblématique de la Cathédrale en flammes véhicule comme message.
D’une part, il apparaît une certaine forme de fascination pour l’événement : la conscience que la Cathédrale est morte glorieuse, en martyre… Ce que l’on peut qualifier de "romantisme des ruines".
D’autre part, une haine et un désir de vengeance envers l’envahisseur allemand ressort également : "la lutte de la civilisation contre la barbarie".

Conclusion :

Enfin essayons de comprendre pourquoi le mythe de la Cathédrale en flammes a disparu :
Tout d’abord pour des raisons internes au conflit, en effet, dès 1916 un nouveau mythe, celui de Verdun, prend le relais. C’est le mythe du sacrifice des poilus. Cependant il semble que le mythe de la Cathédrale martyre ressurgisse fin 1918, au moment du délicat problème du montant des réparations.
Ensuite, des raisons historiques peuvent expliquer cette disparition. Au moment de la commémoration du 80e anniversaire de l’Armistice, on a mis en évidence une certaine disparition dans la mémoire collective de la Première Guerre mondiale : la Seconde Guerre ayant supplanté la Grande Guerre.
Enfin, c’est la restauration même de l’édifice qui explique à mon avis la disparition du mythe. En effet, toute transformation apportée à un mythe entraîne à courte échéance sa disparition.
Un mythe se crée, se développe et disparaît… ou alors il accède au statut de légende.