La conscription

par Daniel Tant

Chacun se souvient du service militaire où tout citoyen doit consacrer une période assez courte de son existence pour apprendre le maniement des armes et les subtilités du combat.

Cet évènement capital dans la vie d'un homme est une sorte d'initiation entre l'adolescence et la maturité. Ce passage est marqué par des rites comme le bal des conscrits, la quille, le père cent ou les cocardes colorées rappelant que le récipiendaire équipé pour procréer est « bon pour les filles ».

La journée de conscription se terminait par la vente de cocardes « bon pour les filles », censées remonter le moral des futurs soldats, et faciliter le contact avec les jeunes femmes dans les bals.

Le service militaire obligatoire dans son principe, est instauré par la loi Jourdan de 1798 : « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». Sa durée primitive dure de l'âge de 20 à celui de 25 ans.

Le 10 mars 1818 le jeune citoyen doit s'engager pour une durée de 6 ans s'il est tiré au sort. La loi prévoit quelques cas d'exemption. Si le conscrit mesure moins d'1,54 m, il est inscrit vis-à-vis de son nom la mention : incapable, à cause de sa taille, de soutenir les fatigues de la guerre. L'index droit coupé est aussi un motif de réforme car il ne pouvait tirer au fusil et de nombreux conscrits se sont fait amputer dans ce but. Citons encore le mauvais état de la dentition qui empêche de déchirer les étuis en papier.

Mais un conscrit peut se faire remplacer moyennant finances. C'est le cas de François Auchère de Mennetou Salon qui désire faire remplacer son fils Louis Benjamin en 1829 ; puis son autre fils Michel Auchère dit Jeanmain.

Donc le 29 avril 1831 François Auchère comparait en l'étude de Maître Pierre Pellé notaire à Bourges pour le remplacement de son fils Louis Benjamin, menuisier de son état. Le remplaçant, Pierre Teston, est cultivateur à Cuffy. L'homme d'affaire, c'est-à-dire le recruteur se nomme Claude Bauchard. Ce détail nous apprend que des recruteurs privés vivent du recrutement de militaires.

Tesson doit s'engager pour la somme de 800Frs dont 200Frs payés par Beauchard dès l'enrôlement. De plus, François Auchère doit verser 600Frs dès la fin de l'engagement. Evidemment, cette somme sera majorée par les intérêts.

Bauchard devra aussi assurer le transport de Teston ainsi que la nourriture jusqu'à l'admission ou le rejet par le conseil de révision. L'armée doit donc avaliser le remplacement. Mais Beauchard doit également, dans le mois suivant, fournir un nouveau remplaçant si Teston n'était pas admis par l'armée, et en cas de désertion un deuxième, un troisième, un quatrième, etc…

François Auchère paye à Bauchard 300frs d'argent devant notaire et doit encore payer 400Frs dans les huit jours qui suivent l'admission du remplaçant, 450Frs à l'expiration de la 1ère année, 450Frs augmentés de 5% l'an au terme.

Le 20 février 1831 nous retrouvons François Auchère, décidément antimilitariste, qui demande le remplacement de son neveu Jean Champault.

L'acte est passé en la même étude. Cette fois un certain Zacharie Cremnitz, fabricant de broderie, représente le « recruteur » Pierre Levy de Nancy.

Le remplaçant est François Grosjean, tailleur d'habits né et domicilié à Pont-à-Mousson (54). Il « renouvelle » l'engagemen pris devant le préfet du Cher, de remplacer le dit Jean Champault. Il doit percevoir 200Frs d'avance, 800Frs à l'expiration de la 1ère année et 200Frs six mois après.

Levy doit fournir un remplaçant, un 2° ou un 3°, etc… si François Grosjean déserte.

Pour les frais d'enrôlement, F. Auchère a payé 200Frs et doit payer 650Frs dans les 6 mois après l'expiration. Sur cette somme, seuls 600 Frs seront à 5% d'intérêt par an.

Nous retrouvons François Auchère dans un autre acte du 14 mai 1831 passé en l'étude de maitre Seart notaire à Sedan. Cette fois François Auchère se fait représenter par Claude Beauchard preuve que la confiance s'est installée entre les deux hommes.

Un certain Pierre Joseph Cabé s'engage à remplacer Louis Beanjamin Auchère moyennant la somme de 600 Frs dans un an. Il décide par acte notarié d'en remettre la moitié à sa mère Catherine Bavière.

D'ailleurs le 12 septembre 1832 par devant Maitre Leclerc notaire à Sedan (08). Catherine Bavière représente son fils Pierre Jospeh Cabé, actuellement soldat au 33ème régiment de Ligne, preuve qu'il remplit bien ses fonctions de remplaçant. Elle reçoit de François Auchère la somme de 637Frs composée de 600Frs de capital et 37Frs d'intérêts.

Enfin le 8 novembre 1841, par devant Maitre Louis Ricard, notaire à Mennetou Salon. Cette fois un certain Michel Auchère dit Janmain, propriétaire et aubergiste s'engage à remplacer François Michel Noël Auchère moyennant la somme de 1900Frs payable pour moitié 18 jours après l'incorporation et l'autre moitié après la libération, c'est-à-dire 7 ans après.

La somme est augmentée des intérêts à 5% l'an.

Le remplacé doit fournir un sac garni « comme doit l'avoir un militaire », évalué à 200Frs, et de plus il affecte en garantie de paiement un immeuble situé à Mennetou Salon.

Nous sommes loin du service rendu gracieusement et voyons que cette pratique était très encadrée par des contrats passés devant notaire. Les fonctions de recruteur et de remplaçant étaient des professions à part entière.

Le premier de ces actes notariés est reproduit ci-après.


Auteur :  Daniel Tant
Sources : Archives privés de l'auteur

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