Louis-Henri Luçon

(1842-1929)

La figure du cardinal Luçon se trouve liée au mythe de la cathédrale martyre et à sa genèse, l’incendie du 19 septembre 1914.

Pourtant, l’archevêque de Reims n’était pas à Reims lors de ces premiers bombardements. Il est alors à Rome, suite au décès, le 20 août 1914 du pape Pie X. Il part le 24 août pour le Conclave et arrive le 27 au Vatican. Après quatre jours de délibérations, monseigneur Della Chiesa, archevêque de Bologne, est élu et prend le nom de Benoît XV (1914-1922).

Apprenant l’occupation de Reims et les premiers bombardements du 4 septembre, le cardinal Luçon repart en urgence pour sa ville épiscopale. Il est de retour à Paris le 9 septembre, mais la route en direction de Reims est alors strictement interdite. Ce sont les journaux qui lui apprendront le terrible incendie du 19 septembre 1914. Ce n’est que deux jours après, le 21, que l’archevêque rentre dans sa ville meurtrie.

Cardinal Luçon

Il devient l’interlocuteur privilégié dans les domaines afférents à la cathédrale de Reims. Il reçoit de nombreuses lettres de sympathie et de condoléances au lendemain de l’incendie : télégramme de pieuses Polonaises, lettres du duc d’Orléans, de la faculté de théologie de Montauban, du grand Rabbin de Paris, du pasteur et du rabbin de Reims, de l’archiprêtre du Chapitre de Captown… Jusqu’à l’évacuation, le cardinal Luçon n’aura de cesse de rencontrer ses fidèles éprouvés par les bombardements, de soulever l’indignation internationale et d’accueillir les plus illustres visiteurs. Ces visites ne seront d’ailleurs pas sans danger car le 24 septembre 1914, en sortant de chez lui, il a juste le temps de se précipiter à terre pour éviter les éclats d’un obus. Il deviendra le mythe associé à la cathédrale de Reims car, comme elle, il subira les bombardements. L’architecte américain, Whitney Warren, le compare d’ailleurs à un chef militaire : « Parmi tous les héros de la guerre, il n’est pas de plus pure figure que celle de ce prince de l’Eglise, sans peur, sans amertume, fidèle au poste comme le commandant d’un dreadnought en action. »

Dans la cathédrale ravagée, le culte avait cessé depuis l’incendie du 19 septembre. Le 3 septembre 1915, le cardinal Luçon prend la résolution d’y faire, chaque vendredi, son chemin de croix « Via Crucis in Cathedrali ». Albert Chatelle, d’après le témoignage du cardinal, en dresse une description détaillée : « C’était le plus souvent à la chute du jour, dans la demi-obscurité de la nuit tombante […] Dans la cathédrale vide, déserte, silencieuse, je m’agenouillais d’abord sur les degrés du sanctuaire. Là, j’invitais Notre-Dame, patronne de la basilique, tous les saints de France, saint Denis, saint Martin, saint Sixte, saint Sinice, saint Nicaise, saint Remi, sainte Clothilde, sainte Geneviève, saint Louis et sainte Jeanne d’Arc à prier pour la Patrie en détresse. Joignez-vous à moi, leur disait-il, et allons, de station en station, implorer pour la Patrie les divines miséricordes. » Lors de l’anniversaire de l’incendie, le 19 septembre 1916, tout le clergé de Reims se joint au cardinal et l’accompagne lors de son chemin de croix.

Le cardinal Luçon est une figure médiatique, devenu l’un des interlocuteurs privilégiés pour la propagande française vis à vis du Saint-Siège. Il fait en outre partie du comité catholique de propagande française à l’étranger, fondée le 18 mai 1915, tout comme le cardinal archevêque de Paris, Léon-Adolphe Amette (1850-1920), le marquis Melchior de Vogüé (1829-1916), remplacé à sa mort par Denys Cochin. Pour ses publications, le comité dispose du soutien de l’imprimerie « Bloud & Gay ».

Pour les Rémois, le cardinal Luçon représente un incontestable soutien moral. Toujours présent durant la guerre, à proximité immédiate de la cathédrale, il ne quitte Reims que pour de courtes absences. Néanmoins, du 18 juillet au 15 août 1916, suite à des problèmes de santé, il est contraint de se rendre à Paris pour suivre un traitement.

Les journalistes, hommes de lettres, politiques qui se rendent à Reims, veulent tous rencontrer le vénérable cardinal. Tout comme les chefs militaires, le cardinal Luçon est représenté en pleine page dans L’Illustration du 19 février 1916.

Le 16 septembre 1916, à l’occasion du second anniversaire de la « Victoire de la Marne », un petit article lui est consacré dans L’Illustration : « Avec une bravoure qui ignore le danger, avec une humilité qui ne se rend pas compte de sa bravoure, ce vieillard de 74 ans a choisi sa demeure au point le plus exposé de la cité martyre, à deux pas de sa Notre-Dame mutilée[…] Ame de citoyen autant que de prêtre, vivante démonstration de ce que la foi chrétienne peut ajouter au patriotisme le plus pur ! » Ce véritable panégyrique illustre parfaitement l’image créée autour de cette personnalité, alliance du patriotisme et de la religion.

Le cardinal Luçon est, à maintes reprises, décoré. Le 25 août 1915, il reçoit le titre de « Président d’Honneur de la Croix-Rouge ». Pour ses actes passés à Reims et sur demande du député de Reims, Camille Lenoir, le cardinal Luçon est décoré de la Légion d’honneur par le Président de la République, Raymond Poincaré (1860-1934), le 17 juin 1917, au pied de l’hôtel de ville. Lors de sa visite de la cathédrale, Edvard Benès (1884-1948), alors ministre des Affaires étrangères du premier gouvernement tchécoslovaque, promet au cardinal de lui envoyer la Croix de Guerre tchécoslovaque qui lui est effectivement remise le 13 mars 1919. Le 11 août 1922, il devient officier de la Légion d’honneur. Le 3 novembre 1925, il reçoit de la main de l’ambassadeur de Belgique en France, la Grand Croix de l’Ordre de Léopold II. Le 5 décembre 1927, le consul d’Italie lui remet le Grand Cordon et la Grande Croix de l’Ordre de la Couronne d’Italie.

L’aura médiatique du cardinal Luçon au lendemain de la guerre est telle qu’une biographie lui est consacrée, dès 1919, sous la plume de Henri Baguenier Desormeaux (1861-1929). De même, l’académicien Georges Goyau (1869-1939), spécialiste de l’histoire religieuse française, lui consacre un article intitulé « Un archevêque au chevet d’une grande blessée. Le cardinal Luçon à Reims » paru en 1927 dans Le Figaro. En 1934, l’historien Pierre Lyautey (1893-1976), neveu du maréchal Lyautey, dans La Revue des deux Mondes, relate son rôle à Reims durant la guerre.


Auteur :  Yann HARLAUT

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